Ce
qu'écrivit Eric
"Je
suis très heureux que paraisse un livre
consacré à la " Belle-Poule " car
c'est un bateau que j'aime.
Celle-ci, avec sa compagne l'Etoile , a
été construite sur le modèle
des goélettes " Islandaises", juste avant
leur disparition. Ces bateaux de pêche
à la morue nécessitaient de
réelles qualités nautiques pour
éviter d'être jetés sur les
côtes d'Islande dans les fortes
tempêtes qui sévissent souvent dans
cette région. Le danger joint aux
impératifs de leur travail
façonnèrent ce type de
goélette aux formes relativement fines et au
beau gréement formant un ensemble
particulièrement élégant.
Bien avant d'entrer à l'Ecole navale je
rêvais de naviguer sur l'Etoile ou sur la
Belle-Poule. Comme élève j'ai
toujours beaucoup aimé embarquer sur ces
bateaux. Nous participions aux manuvres,
à la barre et à la navigation. Comme
les deux goélettes naviguaient presque
toujours de conserve, de l'une nous avions toujours
une très belle vue de l'autre. Dans la mer,
par bonne brise, le spectacle était souvent
magnifique.
On peut être reconnaissant à la Marine
nationale d'avoir su garder ces
éléments importants de notre
patrimoine maritime dans un état impeccable.
J'ai cependant un grand regret : quand j'ai
navigué sur les goélettes (je suis de
la promotion 58) elles étaient
équipées d'un treuil à
brinquebales d'origine, comme ceux que l'on
trouvait sur tous les bateaux de pêche et de
cabotage à partir d'une certaine taille. Ce
treuil servait à remonter la chaîne de
mouillage et était actionné par une
barre de fer, la brinquebale, articulée sur
un axe en son milieu au-dessus du treuil et dont
les extrémités étaient
alternativement tirées vigoureusement vers
le bas par trois hommes de chaque
côté. C'était lent, physique,
mais ça marchait. Ce genre de treuil a
disparu avec les bateaux qui les portaient et ceux
des goélettes Belle-Poule et Etoile
étaient aussi devenus des pièces
rares, des éléments du patrimoine qui
auraient dû être conservés. Des
générations de " bordaches "
s'étaient fait les bras et le dos, pour leur
plus grand bien, sur la brinquebale et il me semble
que cela aurait pu continuer. Je n'ose
espérer que cette mutilation soit
réparée un jour et que l'anachronique
treuil moderne soit débarqué pour
réinstaller celui d'origine.
Quoi qu'il en soit ces bateaux sont magnifiques et
l'on ne peut que souhaiter que la Marine nous les
garde pour toujours".
Plus tard, il m'écrivait à nouveau
:
"Les sorties sur la Belle-Poule et l'Etoile sont
parmi les bons souvenirs que je garde de mes deux
années passées à l'Ecole
navale.
J'aime naviguer sur les bateaux que j'admire. Plus
jeune j'avais eu la chance de naviguer à la
pêche au thon sur un thonier à voiles.
Ces bateaux me fascinaient depuis ma plus tendre
enfance et j'ai pu me débrouiller pour
embarquer sur l'un d'eux quand il en restait encore
quelques uns. Les goélettes Belle-Poule et
Etoile me faisaient également rêver,
mais ne sachant pas encore que je rentrerais un
jour à l'Ecole navale, ce rêve me
paraissait beaucoup plus inaccessible. Aussi quand
ce fut le tour de mon escouade de faire sa
première sortie à leur bord je
n'aurais pas voulu la manquer.
Je me souviens très bien du
déroulement de cette journée.
C'était une initiation : nous sommes donc
restés en rade de Brest. Il fallait
apprendre la place de toutes les drisses et
écoutes et savoir ce qu'il fallait faire
pendant les différentes manuvres. Il y
avait un vent assez fort ce qui était plus
intéressant. Après une matinée
passée à sillonner la rade en tous
sens nous avons mouillé pour le
déjeuner près de Roscanvel.
L'après-midi, première
expérience avec la brinquebale pour remonter
le mouillage et, après quelques bords en
rade, retour au Poulmic. J'étais ravi de
cette journée et je crois que la plupart de
mes camarades l'étaient aussi.
Durant nos deux années à l'Ecole nous
embarquions régulièrement sur les
goélettes. Il y avait deux types de sorties
: celles à la journée et celles de
plusieurs jours. Pour ces dernières nous
embarquions avec nos hamacs. A cette époque
presque tout le personnel équipage,
même dans les casernes à terre,
couchait en hamacs. Nous aussi à l'Ecole
navale et pour toutes nos sorties à la mer,
que ce soit à bord des goélettes ou
à bord des bateaux de guerre, nous
embarquions avec notre hamac sur l'épaule.
Après, sur la Jeanne d'Arc, nous dormirons
aussi en hamac. Ceux-ci ont maintenant disparu dans
la Marine et les postes des goélettes ont
été aménagés avec des
couchettes.
Dans les longues sorties nous faisions souvent des
escales intéressantes. Je me souviens
d'avoir été un des rares
privilégiés de la promotion à
être allé, avec les goélettes,
assister au lancement du paquebot Franceà
Saint-Nazaire. Nous étions mouillés
à proximité de la cale de lancement,
aux premières loges pour profiter du
spectacle. Je ne me doutais pas que j'aurais plus
tard, en 64, un autre privilège, celui
d'être invité par la Compagnie
Générale Transatlantique à
bord du France de New-York au Havre.
Une autre fois nous sommes allés à
Fécamp pour le Pardon des Terre-Neuvas, et
aussi à Paimpol, patrie des goélettes
islandaises, où la Belle-Poule et l'Etoile
ravivaient bien des souvenirs dans la population
locale.
A ce sujet je me souviens d'une petite histoire
amusante. Quand nous embarquions sur les
goélettes, nous le faisions avec notre "
officier de manuvre " qui prenait alors le
commandement du groupe des deux bateaux. Pour nous,
c'était le capitaine de corvette Jaouen,
manuvrier réputé et aimant la
voile, un véritable " boulinard ". Il
était sur le pont quand un vieil homme
demande à monter à bord. Il
s'approche du commandant Jaouen avec qui il
échange quelques mots. On apprend ainsi que
l'homme est un ancien pêcheur d'Islande. Il
regarde tout le bateau et dit au commandant : "
T'as un joli bateau ...... mais ..... un peu
fragile! ". J'aurais bien aimé savoir ce
qu'il entendait par là. J'ai essayé
par la suite de trouver la réponse en
observant des photos de goélettes
islandaises mais je n'ai pas remarqué
qu'elles aient eu des espars plus gros ou des
haubans plus forts. Tel qu'il est, le
gréement des goélettes m'inspire
confiance.
Je n'ai qu'un seul regret de ces navigations : nous
avions des horaires à respecter. C'est
incompatible avec la navigation à voile.
Aussi quand le vent manquait ou qu'il était
contraire, il fallait mettre le moteur pour arriver
à l'heure. Mais on faisait le maximum
à la voile et les goélettes au largue
par bonne brise c'était superbe".
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