Prendre
un pilote ...
Prendre un "Pilote" d'estuaire ou
de port, de rivière ou de canal, c'est
s'assurer les services d'un excellent guide, pour
le moins en théorie ! Il connaît les
lieux et ses dangers, il sait vous indiquer
l'existence d'un courant traître ou d'un banc
de sable qui ne figure pas sur vos cartes, les
caprices du vent compte tenu de la topographie,
...
Grâce à lui toutes les portes
s'ouvrent devant vous, au propre comme au
figuré ! Celles des écluses bien
entendu, mais aussi les ponts qu'ils soient
à bascule, tournants ou levants, sur les
canaux ou dans les ports.
Vous devenez prioritaire, ou plus exactement je
devrais dire, pour reprendre les termes de la
réglementation officielle,
"privilégié" sur les autres navires
qui n'ont pas de pilote.
Les places à quai vous tendent les bras et
si vous avez besoin d'un remorqueur, pas de
problème : Il connaît son patron et
sait lui parler. Vous pensez, c'est un gars du coin
; il sait qu'untel est toujours de mauvaise humeur
le matin ou que celui-là est jovial mais un
peu brusque lorsque le soir arrive ; et puis, et
puis ... il parle la même langue qu'eux, le
même patois quand cela est nécessaire
!
Un pilote : Un guide, un "Sésame" !
Je me souviens de quelques-uns des pilotes dont
nous avons utilisé les services. En Europe
les pilotes sont généralement
très compétents et professionnels
néanmoins chacun à sa
particularité, son caractère et il
n'est pas toujours facile d'appréhender la
confiance qu'on peut lui accorder.
Il y a le "couleur locale".
Comme celui qui nous a été
assigné pour remonter le canal qui relie
l'Escaut à Bruxelles. Collier de barbe
poivre et sel et très fourni, la
cinquantaine bien tassée, paraissant vieux
avant l'âge, casquette de marin vissée
sur le crâne depuis quelques années
déjà, visage coupé à la
serpe.
C'était un flamand et son Anglais
était difficilement compréhensible
tant son accent était prononcé. Et
quand, bien que flamand il daigna, "pour nous faire
honneur" nous parler en Français, nous n'y
comprenions plus rien !
C'était un bon guide ... touristique :
- "A droiiiite, laaaa maiiiison ou vécut
mon grein pèrrrrre ; à gauche un
ancien monastèrrrrre ; Ce pont a
été conssssstruit en .... ;
- Eh, pilote ! le pont en question ne s'ouvre
pas et nous en sommes proches !
- On nnn'a llllle temps ! Alors, à
drrrrroite, vous disais-je ...."
Et le pont ne s'ouvrit pas, nous dûmes nous
arrêter au milieu du canal et patienter en
attendant le passage du prochain train !
Il convient de dire que sur ce canal les bateaux ne
sont pas prioritaires sur les trains et qu'il est
assez judicieux, outre les documents nautiques
habituels, de se munir de l'indicateur des chemins
de fer.
Il y a le "grincheux".
Vous vous rendez compte, "rester dehors, nez
dans le vent et sous la bruine!". Lui qui est
habitué aux passerelles couvertes et
climatisées des cargos modernes. Et puis
"le café est froid ou pas assez
sucré, à moins que ce ne soient les
deux.... ne peut-on pas aller plus vite, ...quel
rafiot qu'un voilier !"
Bien entendu les rapports avec ceux-ci sont
toujours tendus mais il faut toutefois les
ménager. Car, si un pilote peut être
une aide efficace pour résoudre des
problèmes avec les autorités
portuaires, il peut aussi, si sa mauvaise humeur
prend le dessus, nous laisser dans une situation
inextricable.
Le "jovial".
Le jovial, lui, veut nous faire rire de tout et de
n'importe quoi. Il nous raconte toutes les petites
histoires du coin et parfois part d'un fou rire
dont lui seul a le secret et en connaît la
raison. Bien entendu vous devez aussi jouer le
jeu.
Le "Muet".
Celui-ci est resté pendant six heures
près de l'homme de barre quand nous
remontions l'Escaut et n'a prononcé que neuf
mots : "Bonjour, suivez ce navire devant"
puis en débarquant "Signez là, au
revoir". Il n'en était pas moins
professionnel, mais comme nous arrivions à
nous dépatouiller seuls pourquoi aurait-il
dépensé de la salive pour rien ?
Il y eut aussi le pilote de la Charente que
nous avons embarqué à trois reprises
pour aller à Rochefort. Ce rouquin arrivait
à bord imperturbablement avec une casquette
à l'américaine vissée sur le
crâne, une chemisette entre-ouverte sur un
torse poilu, un bermuda très anglais et des
chaussettes montantes, et ce même lorsqu'il
ventait et pleuvait.
Sympathique et bavard. Les rapports que nous avons
eu avec lui ont toujours été
très agréables. Compétent et
de bon conseil c'est, il me semble, un excellent
pilote.
Il "nous aimait bien" disait-il et
s'était débrouillé pour
être désigné à la place
de son collègue la première fois ; il
faut dire que son neveu effectuait son service
national à bord de la Belle-Poule !
Il y eut celui d'un grand port de commerce,
"heureux et fier d'embarquer pour la
première fois sur une goélette de la
Marine, lui qui en rêve depuis des
années", et pourtant ... en y regardant
de plus près, je retrouvais son nom dans les
archives de la précédente escale,
quatre ans auparavant.
Il ne faut pas oublier les calmes et les
excités, les débraillés et les
cravatés, les dormeurs et les excentriques
....
Il ne faut pas oublier tout ceux qui ne sont que
des ... professionnels et nous ont rendu
d'excellents services.
"Prendre un pilote" est quelque fois indispensable,
c'est parfois plus rassurant qu'utile, voire
même gênant, mais de toute façon
c'est toujours toute une aventure.
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