Guy
Delahaye, l'inattendu !
C'était le 11 septembre, dix
jours seulement après avoir pris mon
commandement. Nous arrivions en escale au Havre
pour participer aux fêtes de la mer ;
j'achevais ma première navigation comme
"seul maître à bord".
Dans
l'après-midi, un homme, la cinquantaine,
assez grand, barbu (poivre et sel) et quelque peu
dégarni, franchit la
coupée(1). Il se présente
au matelot de quart : " Bonjour, je dois embarquer
à votre bord pour rentrer à Brest!
"
Le matelot, quelque peu étonné car
non averti, et pour cause un dysfonctionnement au
sein de l'Ecole navale ayant fait que le message
n'était pas parvenu à bord, vint
m'avertir que Monsieur Guy Delahaye était
à bord.
Tout aussi surpris et agacé à la fois
car dérangé lors d'un entretien au
carré avec un haut représentant de la
municipalité, je m'écris
sèchement " qu'il descende ! ". Cette
réponse n'était certes pas
très courtoise et rendit encore plus
perplexe notre matelot.
A y réfléchir, je me demande encore
aujourd'hui ce qu'il a pu penser de son nouveau
commandant qui semblait bien irascible. Ce qu'il ne
savait pas c'est que le Guy Delahaye qui descendit
derrière lui n'était pas le Guy
Delahaye que je pensais voir arriver.
Guy Delahaye, est en effet un grand oncle par
alliance que j'estime tout particulièrement.
Ancien commissaire en chef de la Marine, il est
l'un des fondateurs du Musée de la Mer et de
l'Atlantique pour Port-Louis. C'est grâce
à lui qu'il y a 20 ans je suis entré
dans la Marine pour y faire mon service national
(Et j'y suis encore!).
Certes, la venue de ce Guy au Havre était
improbable et je m'attendais à voir
descendre son fils Jean que j'avais eu au
téléphone quelques jours auparavant
pour une toute autre affaire.
Quelle ne fût pas ma surprise de me trouver,
un peu décontenancé, devant ce grand
escogriffe qui semblait tout aussi contrit de nous
déranger et de s'apercevoir qu'il
n'était pas attendu. Vous qui connaissez
Guy, vous savez combien il n'aime pas
déranger, lui dont le leitmotiv est de se
fondre dans le décor lorsqu'il
travaille.
Je crois pourtant que nous avons sympathisé
en quelques minutes et j'acceptais aussitôt
de ramener celui qui devait devenir " mon ami Guy "
jusqu'à Brest. J'en avertissait
immédiatement mes autorités
brestoises qui n'étaient pas très
enthousiasmées mais me confirmèrent
que j'étais le commandant de la
goélette et qu'à ce titre ..... je
prenais mes responsabilités.
Je ne l'ai jamais regretté.
Drôle de coïncidence qui donna un tour
nouveau à mon jeune commandement et devait
le marquer jusqu'au bout. Mais la vie n'est elle
pas une succession de ces coïncidences ?
Certains parleront peut-être de destin.
C'est
ce destin peu banal qui avait amené Guy sur
les quais du Havre et qu'il me conta quelques mois
plus tard :
" Un beau jour d'avril, dans un café ou
il était venu se reposer quelques instants
entre deux séances de prises de vue au
théâtre, il s'assit en face d'un grand
monsieur qui lisait le "Télégrammede
Brest" du jour.
Tout surpris, ce dernier identifia en face de lui
celui dont le journal faisait l'éloge pour
sa dernière exposition brestoise. Il engagea
aussitôt la conversation et
sympathisèrent.
Apprenant quelques instants plus tard que son
interlocuteur, bien qu'en civil, était
amiral, Guy lui fit part de son désir
d'embarquer un jour sur une goélette de la
"Royale" pour découvrir ce milieu qu'il ne
connaissait pas mais admirait.
L'amiral le prit aussitôt au mot et le
recommanda à l'Ecole navale pour lui obtenir
cet embarquement. "
Ils sont devenus eux aussi des amis.
Tenez, à l'heure ou j'écris ces
lignes et pendant qu'il prépare les photos
qui figureront dans les pages de son ouvrage, je
suis certain qu'il a déjà
décidé de le lui dédier.
C'est ainsi que naquit cette amitié,
devrais-je dire cette complicité, entre le "
tout jeune commandant " de la Belle-Poule que
j'étais et le photographe de spectacle de
renom à qui rien ne semblait laisser
présager qu'il passerait deux ans de sa vie
" à penser Belle-Poule " comme nous tous
à bord.
Rien, vraiment ? Pas sûr vous dirait Guy
!
Je l'ai souvent taquiné en le traitant de
marin manqué, ou refoulé. Mais marin
il l'est. Marin dans l'âme bien avant notre
rencontre, rêvant tout jeune d'une
carrière maritime, ce terrien de
Grenoblois!
Mais la vie, ou le destin, en décida
autrement et fît de lui un " pion " de
lycée puis le photographe de salles obscures
que l'on connaît.
J'ajouterais à son palmarès qu'il est
un excellent chanteur ..... de chants de marin! Son
répertoire est vaste à en faire
pâlir mon équipage pourtant assez
doué dans ce domaine.
Quand le soir au mouillage le soleil
s'éteint derrière l'horizon, Laurent
et Frédéric nos deux guitaristes,
entouré de quelques autres gars de
l'équipage, se réunissent sur la
plage avant et entonnent quelque mélodie,
Guy n'y résiste pas et se mêle
à eux.
Sa voix puissante et bien appuyée prend vite
le dessus, les autres chanteurs ne font plus que
fredonner puis s'arrêtent pour écouter
religieusement leur nouvel ami et sa voix de tenor.
Souvent, même les guitaristes font taire leur
instrument tant cette voix se suffit à
elle-même.
Et la soirée de se poursuivre ainsi ...
Un aveu de Guy : Lors de ses longs voyages avec sa
camionnette qu'il nomme bien volontiers son
hôtel ambulant tant il y passe de nuits, pour
tromper le temps ou l'ennui, il se met parfois
à chanter à tue-tête ....ces
mêmes chants de marins.
Guy, un marin ? Oui, certainement.
S'il ne l'était que dans l'âme
auparavant, " avant la Belle-Poule ", je peux vous
affirmer qu'après ses nombreuses
pérégrinations à notre bord,
il est maintenant tout aussi marin que n'importe
lequel d'entre nous. Et nous en sommes fiers, car
c'est un homme de talent et plein
d'humanité, d'une gentillesse à toute
épreuve et surtout, surtout, un ami
remarquable.
Merci Guy ...
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