La
campagne de pêche en Islande
L'armement du navire.
Au temps des premiers armements pour l'Islande
où l'on hésitait pas à envoyer
des petits navires, les équipages
étaient peu nombreux, allant de 6 à
15 hommes ; Cependant en 1872 presque toutes les
goélettes comptent 20 à 22 hommes,
exceptionnellement sur les bateaux plus importants,
ce nombre pouvait atteindre 26 ou 27.
Cet équipage comprenait un capitaine, un
second, deux lieutenants et un saleur qui
constituaient l'état-major, treize à
dix-neuf hommes d'équipage, un novice
âgé de 16 ans et un mousse
âgé de 14 à 16 ans, le
rôle de ce dernier était
principalement de faire le service de
l'équipage mais il donnait aussi la main
à toutes sortes de tâches du bord
(réparation des lignes, travail du poisson,
...).
Pendant l'hiver le rôle du capitaine
était de faire effectuer les
réparations sur son navire, de s'occuper de
son armement et de l'approvisionner avec son
armateur de tous les ustensiles et apparaux
nécessaires à la pêche et
à la navigation.
Pendant les semaines qui précèdent le
départ, l'armement est
complété par l'embarquement des
provisions : pain frais, biscuits en galettes
rondes, lard salé en demi-barriques, viandes
fraîches, conserves de toutes sortes, pommes
de terre, légumes en barriques, choux
salés, etc ... Les caisses à eau sont
remplies ; dans la cambuse située entre la
chambre des officiers et la cale on emmagasine la
boisson : 20 à 25 barriques de vin et de
cidre et en plus de l'eau de vie. Dans le gaviot,
sous le poste d'équipage s'entasse le
charbon. Enfin la cale reçoit 120 à
130 tonnes de sel, les engins de pêche, les
voiles et le gréement de rechange.
Les goélettes islandaises n'étaient
pas dans la nécessité de se pourvoir
pour une campagne qui durerait six mois sans
toucher terre comme les Terre-neuvas du Grand Banc.
La proximité de la terre où ils
pêchaient leur donnait la possibilité
de relâcher pour refaire des vivres ou de
l'eau, en outre, en milieu de campagne la rencontre
avec leur navire chasseur leur permettait, entre
autres, de refaire leur cargaison de sel.
Le départ des goélettes,
traversée jusqu'à l'Islande.
Dans les parages de l'Islande, les tempêtes
sont fréquentes et violentes surtout pendant
les mois de février, mars et avril et elles
occasionnaient tous les ans des sinistres. A la
suite des nombreuses disparitions lors de la
campagne de 1839, une ordonnance interdit aux
armateurs de faire partir leurs navires avant le
1er avril. En 1863, à la suite de nombreuses
réclamations, le ministre autorisa les
départs à partir du 20 mars. La
campagne s'étant accomplie sans accident, on
en revint au régime de la liberté
absolue.
Le départ des Islandais était
marqué par une fête religieuse
importante : le Pardon des Islandais. Celui-ci
avait lieu le dimanche le plus rapproché du
départ et consistait surtout en une
procession où la statue de N.-D. de Bonne
Nouvelle (à Paimpol), portée par les
épaules des marins, parcourait les rues de
la cité et les quais où sonnaient
à toute volée les cloches des
goélettes, grand pavois au vent
gréement et mâture garnis d'Islandais
qui chantaient et recevaient la
bénédiction rituelle souvent
donnée par Monseigneur de Saint-Brieuc. Le
pardon proprement dit était suivi de
réjouissances populaires amenant beaucoup
d'animations.
Après avoir attendu quelquefois sur rade un
vent favorable, le navire établit sa voilure
et fait route sur l'Islande. La traversée
durait entre 8, et 12 jours.
Technique de la pêche, travail du
poisson.
La pêche étant interdite dans les eaux
territoriales d'Islande, elle se situait en
général entre trois et dix miles des
côtes environ.
Dès leur arrivée en Islande vers la
fin février ou début mars, les
capitaines remplacaient leurs voilures de
traversée par des voiles tannées
c'est à dire enduites à chaud d'un
mélange obtenu en faisant bouillir dans une
chaudière, de l'huile de foie de morue, de
la graisse et de l'ocre ; Une fois sèche, la
toile ainsi préparée devient plus
résistante aux brumes fréquentes
rencontrées dans les parages de
l'Islande.
La pêche s'y pratiquait en deux
époques suivant en cela de façon
empirique, les migrations de la morue : la
première pêche se faisait à
l'Est et au Sud de l'île, c'est la plus
lucrative car la morue est belle et plus abondante
; Comme c'est l'époque où elle va
frayer elle contient des rogues qui augmenteront la
valeur de la production de la goélette ; La
deuxième pêche se faisait à
l'Ouest et au Nord de l'île en contournant
l'Islande par l'Ouest et si les glaces le
permettaient quelquefois par l'Est.
La technique de pêche différait
essentiellement de celle pratiquée sur les
bancs de Terre-Neuve. Tandis qu'à
Terre-Neuve le navire reste au mouillage et envoie
ses doris tendre des lignes de fond qu'ils iront
relever plus tard, ici c'est du bord même que
se faisaitt la pêche, le navire
dérivant à la cape : C'est ce que
l'on appelle la pêche errante de la mer
d'Islande.
Par beau temps, la grand-voile, souvent
diminuée de surface était seule
établie, filée à bout
d'écoute, le retenue de gui embraquée
sur l'avant des haubans de grand mât. La
barre était amarrée sous le vent. Les
lignes étaient établies au vent pour
ne pas passer sous la quille du.
Pour pêcher, les hommes s'échelonaient
le long du bord, autrefois le tirage au sort fixait
les postes de pêche pour toute la campagne,
mais on reconnut que les meilleurs emplacements
étaient à l'arrière de la
goélette, aussi fut-il décidé
les marins, changeraient de place chaque semaine,
en avançant vers l'avant, de telle sorte
qu'en fin de campagne chaque pêcheur aura
successivement occupé toutes les places.
La ligne des Islandais était un fort filin
d'une longueur de 80 à 150 mètres.
Elle était saisie à bord pour qu'elle
ne se perde pas si elle échappait aux mains
du pêcheur engourdies par le froid, elle
passait sur le plat bord dans de petits supports en
bois dur, poirier ou pommier : les mèques.
Elles étaient implantées dans le plat
bord tous les 1,30 m environ, marquant ainsi les
emplacements de pêche.
Dés que le poisson est hissé à
bord, le pêcheur lui tranche la gorge, lui
coupe la langue et le fait saigner, puis le jette
dans un parc fixé sur le pont du navire. Le
pêcheur conserve la langue dans une manne
posée à côté de lui ou
dans un sac fixé à sa ceinture ;
à la fin de la journée il remet au
capitaine son panier de langues ce qui permettra
d'établir le nombre de morues
pêchées qu'on inscrit à son
actif dans le registre de pêche puisque les
hommes sont payés au nombre de poissons
capturés.
Lorsqu'il y a dans les parcs un nombre de morues
suffisant, ou que la pêche se fait plus rare,
tout le monde se met au travail du poisson :
après avoir été
préparés, les poissons sont
jetés dans la cale au saleur qui les arrime
avec soin en couches recouvertes de sel ; les
têtes servent à la soupe de
l'équipage. Quant aux rogues et aux foies
ils sont conservés dans des barils : ceux-ci
pour fabriquer l'huile, ceux-là pour
être vendus en France comme appât aux
pêcheurs de sardines.
L'équipage de la goélette est
divisé en trois bordées dont deux
pêchent tandis que la troisième se
repose pendant un quart c'est à dire trois
heures, de sorte que chaque bordée prise
séparément, pêche pendant six
heures consécutives. Mais il est
évident que lorsque la morue donne tout le
monde travaille sur le pont et la pêche peut
se prolonger pendant 24 heures et plus.
C'est vers le 15 mai que se termine la
première pêche ; à leur
départ de France, les capitaines avaient
reçu de leurs armateurs une note
écrite leur enjoignant de se trouver au
mouillage dans un fjord déterminé
à partir d'une date bien
spécifiée et de n'en pas bouger
pendant un délai fixé à une
dizaine de jours.
Les points de rendez-vous étaient les baies
islandaises. C'est dans celles-ci que le navire
pêcheur rencontrait le chasseur, venu prendre
son poisson et lui remettre en échange du
sel, des vivres, des agrès, des voiles et
des engins de pêche de rechange ainsi que son
courrier.
Cette industrie des chasseurs était
très ancienne et de bonne heure on y affecta
des navires de grande marche et de tonnage
sensiblement égal à celui des
goélettes de pêche pour pouvoir
prendre le produit de la première campagne
de deux et même trois morutiers.
Après ce séjour, le navire part pour
sa deuxième pêche.
Vers la mi-août les vivres s'épuisent
et le sel commence à faire défaut, il
est temps de faire route sur la France et les
premiers jours de septembre constituent la date
extrême du départ.
Le retour
La traversée de retour est en
général un peu plus longue que celle
d'allée à cause d'un navire
lourdement chargé et dont la coque est
encrassée par les algues ; néanmoins
le retour peut s'effectuer en 10 à 12 jours
avant d'apercevoir les feux de Bréhat.
Lorsque la goélette a accosté les
quais, les Islandais hirsutes se précipitent
chez eux, heureux du retour et d'annoncer la
quantité de morues pêchées :
4000 morues prises par homme constituaient une
pêche exceptionnelle et permettaient de dire
"nous sommes riches", la pêche est
très bonne à 3000, bonne à
2000, moyenne à 1500 et médiocre
au-dessous.
Quelques jours plus tard et avec un équipage
réduit à 6 ou 7 hommes le navire
repart pour un voyage d'hiver, il va livrer sa
morue dans les ports de vente, puis c'est le retour
pour le désarmement.
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